Corps étranger retrouvé dans les suites d’une intervention chirurgicale

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Corps étranger retrouvé dans les suites d’une intervention chirurgicale

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  • Instruments chirurgicaux disposés sur un champ stérile, avec des mains gantées saisissant une pince - La Prévention Médicale

Tous les points de contrôle attendus pour préparer une intervention chirurgicale sont réputés essentiels pour garantir un niveau de sécurité optimal, et ce, quel que soit le secteur d’activités. Dans ce cas clinique, les conséquences de l’utilisation d’un instrument défectueux seront maîtrisées, mais les risques liés à cette vulnérabilité peuvent être potentiellement graves.

Auteur : Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Ingénieur en prévention des risques - MACSF / MAJ : 15/09/2025

Présentation du contexte

Madame L., 84 ans, est amenée aux urgences par les pompiers dans les suites d’une chute à son domicile (elle a trébuché sur son chien couché à ses pieds). Elle se plaint d’une vive douleur au niveau de la cuisse.

Elle est prise en charge rapidement par un médecin urgentiste qui l’examine, ne retrouve pas de déformations du membre inférieur, observe un hématome au niveau du quadriceps. Il demande alors la réalisation d'une radiographie des 2 membres inférieurs et un bilan sanguin, avec notamment la mesure du taux d'hémoglobine et un bilan d'hémostase. Dans ses antécédents, on note un accident ischémique transitoire (AIT), avec mise en place d’un traitement préventif par anti-agrégant plaquettaire (Kardégic®).

Au retour du service d'imagerie médicale, le diagnostic d'une fracture périprothétique peu déplacée (prothèse totale de hanche – PTH) est objectivé. La numération formule sanguine (NFS) montre une anémie à 9,5 g/dl. Un avis orthopédique est demandé. Ce dernier valide l'hospitalisation en service de chirurgie et demande que soit réalisé un scanner pour compléter le bilan lésionnel afin de mieux caractériser le type de fracture et ainsi déterminer le type de traitement chirurgical à réaliser.

La patiente est transférée en chirurgie orthopédique, le scanner demandé est réalisé le jour même, Ce second examen montrera que l’implant fémoral de la PTH est toujours bien intégré à l'os. Le chirurgien propose alors de pratiquer une ostéosynthèse par plaque. Cette indication est acceptée par la patiente et un de ses enfants, désigné personne de confiance.

L’intervention chirurgicale aura lieu le lendemain après-midi, après validation de la consultation préanesthésique. Cet acte chirurgical se déroulera sans problème particulier sur table orthopédique.

Une radiographie de contrôle de site opératoire est réalisée le lendemain matin et montre la présence d'un corps étranger métallique en regard de la cicatrice. Il s’agit d’une vis de pince gouge (objet métallique de petite taille) qui a servi à régulariser l’os afin de mieux positionner la plaque d’ostéosynthèse. Ce point est objectivé par le signalement fait par le service de stérilisation lors du reconditionnement de la boîte d’instruments : pince gouge cassée à remplacer. La vis d’assemblage des 2 mors est vraisemblablement tombée dans le champ opératoire lors de l’intervention chirurgicale.

La patiente est avertie de cette découverte, et celle-ci demande que le corps étranger soit retiré. Le chirurgien explique que cette ablation n’est pas forcément nécessaire. Elle entend les arguments du praticien et demande à réfléchir.

Finalement, la vis de la pince sera retirée 4 jours plus tard dans le contexte d’une reprise chirurgicale pour infection de site opératoire. La patiente verbalisera sa conviction d’un lien de cause à effet entre la perte de ce fragment métallique et la complication infectieuse.

Méthodologie et analyse

Le chirurgien orthopédique rédige une déclaration d'événement indésirable.

L’exploitation de cette fiche par le groupe de professionnels chargé de la veille "sécurité des soins" se traduit par la décision de rechercher les causes qui ont conduit à cet incident, les comprendre et trouver éventuellement des actions correctrices à mettre en place pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.

La méthode ALARM est retenue.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs qui ont généré l’oubli du corps étranger métallique sont recherchés.

Cause immédiate

Le corps étranger métallique a été mis en évidence lors de la réalisation de la radiographie de contrôle, réalisée le lendemain de l'intervention chirurgicale.

Causes profondes

 

En résumé

  • La vis d’un instrument chirurgical est retrouvée en postopératoire dans le champ opératoire lors de la réalisation de la radiographie post-interventionnelle de contrôle le lendemain de l’acte.
  • Cet acte opératoire complexe a été ajouté la veille pour le lendemain - urgence.
  • Il a été réalisé sur une fin de journée, période favorable à la fatigue et à la déconcentration.
  • L’équipe chirurgicale a fonctionné en mode dégradé, sans infirmière instrumentiste.
  • L’ancillaire est composé avec des instruments vieillissants.
  • Le signalement des instruments défectueux n’est pas une pratique pérenne des équipes de ce bloc opératoire.
  • Le contrôle de chaque instrument lors de la recomposition des ancillaires n’est pas systématiquement réalisé par les agents de stérilisation.
  • Pas de procédure d’accueil des nouveaux arrivants mise en place au sein des secteurs bloc et stérilisation.
  • Aucun audit de bonnes pratiques réalisé depuis au moins 5 ans en secteur de stérilisation malgré un turnover de professionnels remarqué (25% des effectifs remplacés chaque année).
  • Aucun audit de bonnes pratiques (toutes thématiques confondues) réalisé depuis au moins 5 ans en secteur bloc opératoire.
  • Une check-list de sécurité au bloc opératoire qui semble sous-utilisée au vu des différents entretiens menés.
  • Une culture de sécurité, au sein des secteurs stérilisation et bloc opératoire, estimée insuffisante au vu des événements indésirables mentionnés lors des entretiens et non déclarés.
  • Un plan de formation continue minimaliste pour les 2 secteurs, la responsable de bloc qui en a la charge précise que les effectifs permettent tout juste de prendre en charge les patients inscrits sur les programmes opératoires.

Barrières de défense

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

  • Sensibilisation à la déclaration des événements indésirables ou des presqu’accidents pour alimenter la cartographie des risques des secteurs et renforcer la culture de sécurité des professionnels de santé.
  • Sensibilisation sur les modes dégradés répétés voire pluriquotidiens qui deviennent des organisations de travail à risques : le danger de l’exception qui devient la règle et qui génère les situations à risques pour les patients, surtout lorsque les professionnels de santé sont fatigués.
  • Mise en œuvre des évaluations de pratiques professionnelles plusieurs fois dans l’année pour attirer l’attention des professionnels sur les écarts entre pratiques quotidiennes et bonnes pratiques, souvent synonymes de risques pour les malades avec toutes les conséquences induites.
  • Construction d’un plan de formation continue pour ces 2 secteurs, avec anticipation des ouvertures de créneaux opératoires compatibles avec la disponibilité des professionnels de santé.

Conclusion

Les organisations de travail, qui permettent les modes dégradés répétés, génèrent les situations à risques pour le patient. Ce constat posé, il convient de les repérer… Ils appartiennent à la grande famille des signaux d’alerte dits faibles…

L’analyse d’un événement indésirable montre souvent que ces signaux faibles étaient présents, depuis longtemps, et que la vigilance des professionnels de santé était en sommeil.

Pour ce cas clinique, les suites de cet événement indésirable sont simples, mais imaginons la casse d’un instrument au moment d’un temps opératoire sensible avec des conséquences irréversibles…

Tous les professionnels de santé ont un rôle important dans les organisations en santé. Il convient de prendre le temps de l’expliquer, pour donner du sens aux différentes étapes d’un process de soins.